l'expansion clonale dans la moelle osseuse de précurseurs des cellules sanguines bloqués à un
stade précoce de leur différenciation, les blastes. Il s'agit d'une affection rare (quatre à cinq cas
pour 1OO000 habitants par an, environ 3 000 nouveaux cas par an en France). On distingue
deux grands types :
• les leucémies aiguës myéloïdes (LAM), dont la fréquence augmente avec l'âge (médiane
autour de 65 ans);
• les leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL), surtout observées chez l'enfant, mais aussi
chez l'adulte après 50-60 ans; la LAL représente un tiers des cancers de l'enfant.
Le diagnostic et le pronostic reposent sur l'examen morphologique des blastes du sang et de
la moelle osseuse, l'immunophénotype et l'étude cytogénétique et moléculaire.
Le traitement repose sur la polychimiothérapie et la greffe de cellules souches hématopoïétiques.
La classification diagnostique des leucémies aiguës n'est pas au programme de l'ECN. Nous
avons cependant pris le parti d'effleurer ce sujet, sans lequel tout effort de compréhension et
de mémorisation est illusoire . De surcroît, quelques éléments de classification conditionnent
l'urgence de certaines situations.
1. Facteurs étiologiques
Ils sont inconnus dans la majorité des cas.Certains facteurs sont favorisants :
• les chimiothérapies anticancéreuses, responsables de 10 % des LAM : sont en cause les
agents alkylants, dans un délai allant jusqu'à cinq à sept ans suivant l'administration, souvent
après une phase de myélodysplasie, et les inhibiteurs de topoisomérase Il, dans un
délai inférieur à deux ans
• des facteurs génétiques : anomalies chromosomiques constitutionnelles (trisomie 21, maladie
de Fanconi), déficit de p53 (syndrome de Li-Fraumeni), déficits immunitaires constitutionnels
(ataxie-télangiectasie);
• des facteurs viraux : bien connus chez l'animal, ils ne peuvent être mis en cause que dans
certaines formes très particulières : HTLV1 et leucémies-lymphomes T du Japon et des
Antilles, virus d'Epstein-Barr (EBV) dans certaines leucémies de type Burkitt;
• l'exposition aux radiations ionisantes;
• des toxiques, les hydrocarbures benzéniques (anciennement peinture sur carrosserie,
caoutchouc, pétrochimie, tabagisme).
L'acutisation de syndromes myéloprolifératifs chroniques ou néoplasies myéloprolifératives de
la class ification OMS (leucémie myéloïde chronique surtout avant l'apparition des inhibiteurs
de tyrosine kinase, maladie de Vaquez, splénomégalie myéloïde, thrombocytémie essentielle
plus rarement) et de syndromes myélodysplasiques constituent des formes particulières, de
très mauvais pronostic.
Il. Signes cliniques
Les signes cliniques résultent de deux conséquences de la maladie : une insuffisance médullaireet une prolifération des blastes (syndrome tumoral) Il n'y a pas de signes caractéristiques. La
présentation est variable, allant de la forme peu symptomatique à la forme d'emblée grave
nécessitant l'hospitalisation urgente en milieu spécialisé.
Signes liés à l'insuffisance médullaire
• Signes en rapport avec une anémie, d'installation rapide et de ce fait souvent mal tolérée.
• Signes infectieux en rapport avec la neutropénie, classiquement de la sphère ORL (allant
jusqu'à l'angine ulcéro-nécrotique); en réal ité, souvent sans caractère clinique spécifique
(fièvre résistant aux antibiotiques, sepsis grave).
• Syndrome hémorragique cutané ou muqueux, de type purpura essentiellement, ou hémorragies
extériorisées, en rapport avec la thrombopénie, parfois aggravée par une coagulation
intravasculaire disséminée (C IVD).
Tous ces signes d'appel justifient la réalisation d'un hémogramme.
Signes tumoraux
• Hypertrophie des organes hématopoïétiques (adénopathies et splénomégalie) ou hépatomégalie
· elles se voient surtout dans les LAL.
• Il existe aussi des local isations particulières, d'emblée ou au cours de l'évolution, parfois
sous forme de rechutes isolées :
- localisations méningées responsables de céphalées, de paralysies des nerfs périphériques,
crâniens en particul ier;
- localisations cutanées sous forme de leucémides (LA monoblastiques);
- gingivites hypertrophiques (LA monoblastiques);
- localisations osseuses, responsables de douleurs (LAL de l'enfant surtout) prédominant
aux diaphyses proximales;
- atteinte testiculaire dans les LAL, essentiellement chez l'enfant.
• L'hyperleucocytose n'a de traduction cl inique que quand elle est majeure (> 100 giga/I),
s'accompagnant d'un syndrome de leucostase dans les capillaires pulmonaires et cérébraux.
Les signes sont représentés au niveau pulmonaire par une hypoxie réfractaire parfois
sévère, avec détresse respiratoire, et au niveau cérébral par des troubles de conscience voire
un coma ou des convulsions.
Ill. Signes biologiques et diagnostic
A. HémogrammeItem 312 - UE 9 - Leucémies aiguës
L'hémogramme est toujours anormal et représente l'examen d'orientation majeur du diagnostic
:
• anémie presque constante et parfois sévère (hémoglobine = 5-13 g/dl), normocytaire ou
modérément macrocytaire (surtout LAM avec dysplasie multilignée), non régénérative;
• thrombopénie: très fréquente, parfois inférieure à 10 giga/I;
• leucocytose très variable, allant de la leucopénie(< 3 giga/) à !'hyperleucocytose majeure
(> 1 OO giga/);
• neutropénie fréquente(< 1,5 giga/I) ou agranulocytose d'emblée.
Les blastes circulants peuvent représenter l'essentiel des leucocytes (formes hyperleucocytaires),
mais sont parfois absents ou t rès rares (formes leucopéniques). Leur aspect morphologique
varie d'une LA à l'autre; leur identif ication peut être difficile.
Remarque : Un syndrome de leucostase, se traduisant par une détresse respiratoire ou des
troubles de conscience, est présent dans les formes très hyperleucocytaires.
B. Ponction médullaire
La ponction médullaire permet de réaliser un examen cytologique (myélogramme) et diverses
techniques complémentaires. Elle est systématique, même si ces examens sont réa lisables sur
les blastes circulants lorsqu'ils sont présents.
1. Myélogramme : l'examen clé du diagnostic
Le myélogramme est indispensable même s'il existe des blastes circulants. Il va permettre
d'affirmer le diagnostic et de typer la leucémie.
Étude morphologique des frottis médullaires
La moelle est le plus souvent richement cel lulaire, pauvre en mégacaryocytes, et contient par
définition au moins 20 % de blastes (souvent plus, jusqu'à 100 %).
Divers critères morphologiques des blastes vont permettre de séparer les LA en deux grands
groupes:
• LA lymphob/astiques : blastes de taille petite ou moyenne et cytoplasme peu abondant
• LA myéloides: blastes contenant souvent quelques granulations et parfois un ou plusieurs
bâtonnets rouges (azurophiles) appelés« corps d'Auer »
Étude cytochimique
Elle met en évidence des activités enzymatiques spécifiques dans les blastes, notamment la
myéloperoxydase, dont la posit ivité permet d'affirmer la nature myéloïde de la LA
2. lmmunophénotype des b/astes
Il se réa lise par cytométrie de flux · on recherche l'expression de divers antigènes de différenciation
membranaires ou intracytoplasmiques. Cet examen confirme l'appartenance à une
lignée (lymphoïde ou myéloïde) et apprécie le stade de différenciation. Il est indispensable pour
le diagnostic et le classement des LAL et utile dans les quelques cas de LAM cytologiquement
très indifférenciées.
3. Cytogénétique (conventionnelle et hybridation in situ)
On observe des anomalies du caryotype dans 50 à 60 % des cas. Il s'agit d'anomalies de
nombre ou de structure (délétions, t ranslocations). Ces anomalies permettent de classer plus
précisément les divers types de LA; leur mise en évidence est capitale pour définir le pronostic.
4. Biologie moléculaire
La mise en évidence par PCR (Polymerase Chain Reaction) de divers transcrits de fusion (correspondant
à certaines anomalies cytogénétiques retrouvées avec le caryotype) ou de certaines
anomalies moléculaires a un intérêt pour le pronostic et pour le suivi de la maladie résiduelle
après traitement. La recherche de mutations de certa ins gènes d'intérêt est devenue indispensable
pour l'évaluation du pronostic.
5. Cryoconservation de blastes et de matériel cellulaire
(tumorothèque)
Elle est systématique, pour pouvoir réétudier le matériel diagnostique en cas de besoin et à
titre scientifique.
IV. Diagnostic différentiel
En pratique, il se pose peu quand les signes cliniques conduisent à réaliser et à interpréter cor·rectement un hémogramme. Dans les syndromes mononucléosiques de l'adolescent, notam·
ment la mononucléose infectieuse, le tableau clinique peut être inquiétant quand il associe
une asthénie profonde, une polyadénopathie et une angine fébrile. L'hémogramme montre
une hyperleucocytose constituée de lymphocytes basophiles à tous les stades de l'immunosti·
mulation, à bien différencier des blastes leucémiques (cf. Item 213, au chapitre 13). Par défi·
nition, les syndromes myélodysplasiques se différencient des LAM par une blastose médullaire
et sanguine inférieure à 20 %
VI. Évolution et traitement
A. Évolution générale et pronosticEn l'absence de tout traitement, la LA est mortelle en quelques semaines essentiellement
par complications hémorragiques eVou infectieuses. Ce délai peut cependant être nettement
prolongé dans certains cas par un tra itement symptomatique (transfusions et traitement des
complications infectieuses). Cette attitude est proposée chez les patients de plus de 75 ans
chez qui on ne peut envisager de chimiothérapie du fait de la toxicité.
Le pronostic des LA tra itées dépend d'un certain nombre de facteurs, dont les plus significat
ifs sont l'âge (mauvais pronostic surtout après 60 ans), l'existence ou non de comorbidités,
la leucocytose (mauvais pronostic si elle est élevée, le seuil variant suivant les formes), la
réponse au traitement initial (l'obtention d'une rémission complète est un facteur majeur) et
la cytogénétique.
Dans les LAM, l'étude cytogénétique permet de définir trois groupes pronostiques : « favorable
» (t(15;17), t(8;21), inv(16)); «intermédiaire» (LAM avec caryotype normal'); «défavorable
» (caryotypes complexes, anomalies des chromosomes 5 et 7).
Dans les LAL de l'enfant, l'hyperdiploïdie (> 50 chromosomes) ou la présence de certaines
translocations sont de bon pronostic, alors que l'hypodiploïdie (<45 chromosomes) et la
t(9;22) sont associées à un mauvais pronostic. Dans les LAL de l'adulte, le pronostic est
globalement moins bon que chez l'enfant, et la présence d'une t(9;22), retrouvée chez
plus d'un tiers des adultes, est de très mauvais pronostic, nécessitant une thérapeutique
spécifique.
Le but du tra itement de la leucémie aiguë est double : obtenir une rémission (disparition de
la maladie détectable) et éviter les rechutes. Ce traitement repose principalement sur une
chimiothérapie intensive et s'accompagne, au moins dans sa phase initiale, d'une insuffisance
médullaire sévère et prolongée. De plus en plus souvent, les stratégies sont adaptées aux
facteurs pronostiques.
B. Moyens
1. Chimiothérapie
Différents médicaments sont utilisés, toujours associés de façon à bénéficier de différents
mécanismes d'action et à empêcher certaines résistances. Les anthracyclines et la cytosinearabinoside
sont la base du traitement des LAM. On les utilise aussi dans les LAL avec d'autres
drogues plus spécifiques de cette maladie, comme la vincristine, l'asparaginase, le méthotrexate
(intraveineux eVou intrathécal) et les corticoïdes.
2. Radiothérapie
Elle n'est utilisée que dans deux indications : irradiation prophylactique ou curative des localisations
neuroméningées (LAL de l'adulte et LA monoblastiques) et irradiation corporelle totale,
utilisée en préparation aux greffes de cellu les souches hématopoïétiques
3. Greffe de cellules souches hématopoiëtiques : greffe allogénique
Les cellules sont prélevées chez un donneur sain HLA (Human Leukocyte Antigen) familial
génotypiquement identique ou, en son absence, d'un donneur volontaire non familial HLAcompatible
ou d'une greffe de sang de cordon placentaire compatible. L'allogreffe permet de
réaliser une préparation chimio- eVou radiothérapique à visée cytotoxique, mais elle a également
un effet curatif propre du fait de la réaction immunitaire antileucémique du greffon. En
revanche, elle est responsable d'une mortalité toxique élevée (autour de 15 %) et ne peut pas
être proposée aux sujets trop âgés.
4. Thérapeutiques «ciblées»
Dans certaines leucémies. on utilise des agents à visée différenciatrice (cas de l'acide rétinoïque
dans les LAM 3) ou bloquant spécifiquement un signal intracellulaire dérégulé (cas des
inhibiteurs de tyrosine kinases dans les LAL avec chromosome Philadelphie) (cf. Item 198, au
chapitre 18).
C. Conduite du traitement
A l'heure actuelle, ce traitement ne se conçoit que dans des centres spécialisés et suivant des
protocoles précis. Il se divise en trois grandes phases, quelle que soit la leucémie.
1. Phase d'induction
Toujours sous forme de chimiothérapie intensive entraînant une aplasie d'au moins deux ou
trois semaines, elle vise à obtenir un état de rémission, c'est-à-dire une disparition de tous
signes cliniques et biologiques détectables. En pratique, on parle de rémission complète lorsque
la moelle contient moins de 5 % de cellules jeunes en cytologie et lorsque l'hémogramme est
normal. Cette rémission correspond à une diminution suffisante de la masse tumorale au
niveau cytologique, mais pas à une élimination totale des cellules leucémiques (souvent encore
détectables par des techniques
2. Phase de consolidation
Elle cherche à réduire encore le nombre de cel lules leucémiques résiduelles. On utilise dans
cette phase des traitements intensifs nécessitant de longs séjours à l'hôpital (chimiothérapie,
autogreffe, allogreffe). Chez l'adulte, hors formes de bon pronostic, on fait le plus souvent une
allogreffe en première rémission, alors que chez l'enfant on attend une éventuelle rechute ou
on réserve ce t raitement à des cas de très mauvais pronostic.
3. Phase d'entretien
Elle concerne surtout les LAL et LA promyélocyt aires, sur une période d'environ deux ans.
D. Résultats
• Pour les LAL de l'enfant : on obtient globalement plus de 90 % de rémission complète et
plus de 70 % de guérison.
• Pour les LAL de l'adulte : le taux de rémission complète chez l'adulte jeune est de 80 %
(beaucoup plus faible chez le patient âgé) mais les rechutes sont fréquentes avec seulement
20 à 30 % de rémissions persistantes (50 % si on peut faire une allogreffe).
• Pour les LAM : on obtient en moyenne 70 % de rémissions complètes (80 % avant 60 ans,
50 % au-delà) et 30
E. Rechutes
Les rechutes surviennent le plus souvent dans les deux premières années de rémission. Le taux
de nouvelle rémission est plus faible et la durée plus courte que dans la première poussée, sauf
en cas d'utilisation de modalités thérapeutiques différentes (par exemple, greffe si non utilisée
in itialement).
VII. Conclusion
llm\
Les LA sont des malad ies rares, surtout chez le sujet jeune. Les signes cliniques sont souvent
peu caractéristiques et il faut savoir y penser, notamment en sachant interpréter correctement
un hémogramme. Même si le diagnostic et le traitement relèvent de services très spécialisés,
il faut reconnaître les cas nécessitant une prise en charge urgente et comprendre les grands
principes du traitement, de plus en plus adaptés